Cet article naît de réflexions qu’on m’a fait, ou que j’ai vu passer récemment, sur le fait que l’ensauvagement et la liberté passaient aussi par la prise de risque. En tant qu’amatrice de sensations fortes dans mon rapport à la nature et auteure d’un livre sur la cuisine des plantes sauvages comestibles, et l’ensauvagement, ça m’a parlé, fort. J’avais envie de développer ça davantage ici.
Ensauvagement quèsaco ?
Dans mon livre, qui est aussi un « manifeste d’ensauvagement », je décris l’ensauvagement comme suit : Le mot « sauvage » vient du latin silvaticus « fait pour la forêt » et « à l’état de nature ». Dans des sphères naturalistes et écologistes, le terme d’ensauvagement désigne à la fois la réintroduction d’espèces animales sauvages dans leur milieu d’origine ou le fait de laisser un espace naturel reprendre ses droits. On parle également d’un processus de retour à la nature pour les humains, perçu comme positif ou négatif. On a ainsi taxé de sauvages des humains qu’on jugeait plus proches d’un état d’animalité ou de nature, comme les peuples premiers. De la même façon les plantes sont sauvages car elles existent en dehors du cadre anthropique maîtrisé de nos cultures. Plus récemment, le terme d’ensauvagement est utilisé en politique pour désigner la violence et la délinquance. On considère comme sauvage ce qui existe en dehors des règles et de la société. L’ensauvagement peut donc se voir à échelle individuelle, collective et sociale et à l’échelle de la nature. Mais individuellement une démarche d’ensauvagement n’est-elle pas nécessairement une prise de risque ? Une sortie de notre zone de confort ?
Plantes sauvages, prendre le risque ?
Se nourrir de plantes sauvages est souvent perçu comme quelque chose de risqué. Les meilleurs guides dans le domaine en rappellent les risques et mettent en garde contre les erreurs d’identification, le risque d’intoxication, le fait de ne jamais goûter une plante dans le processus d’identification, etc. Et ça a son importance puisque c’est une question de survie. Mais c’est aussi un frein à faire tomber des barrières pour aller vers les plantes comme vers des aliments dignes de ce nom; un frein à l’apprentissage; un frein à faire confiance et à recréer du lien avec ce qu’il y a de plus instinctif en nous. Personnellement je goûte les plantes pour savoir si elles sont comestibles et je pense que c’est ce que faisaient nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui n’avaient ni flore bardées de clefs de détermination, ni Plantnet installé sur un téléphone, ni une société hygiéniste et sécuritaire pour leur dire quoi faire et quoi penser. Mais tout ça n’est possible qu’en acceptant et en dosant la prise de risque qu’on prend de base. Il faut quelques connaissances et connaître les toxiques. Je ne vais pas me faire une ventrée de cette plante que je n’ai pas identifiée avec certitude, ça non. Mais, je vais goûter, un petit bout, minuscule, pour le recracher ensuite, juste pour voir si mes sens, mon corps, trouvent ça agréable ou suspect. On peut aussi frotter la plante à son poignet pour voir si il y a une réaction allergène. Juste histoire de travailler et m’approprier cet instinct que je cherche à retrouver. C’est ça pour moi m’ensauvager.
Redécouvrir notre essence primitive
L’ensauvagement contemporain peut être vu comme une tentative de redécouvrir notre essence primitive dans un monde de plus en plus civilisé. À mesure que la technologie progresse, nous ressentons le besoin de se reconnecter avec des éléments plus sauvages de la nature, que ce soit à travers des expériences en plein air, des aventures extrêmes ou des défis physiques. L’idée est de se confronter et se mesurer aux éléments, au danger qu’ils comportent. Comme si défier le statu quo était la clé pour libérer notre part sauvage intérieure. Une façon de s’affranchir des contraintes de la société civilisée et de reconnecter avec des impulsions plus primitives. A mon échelle, cette recherche m’a conduite à prendre le risque de randonner seule, de me baigner dans des lacs ou des rivières gelées, à camper sous la neige, grimper aux arbres, à une paroie rocheuse, à descendre des cascades ou dans une grotte. A chaque fois ce type d’activités me ramène à ce sentiment de respect et de révérence face à quelque chose de plus grand que moi, me confronte aux éléments, à la roche, au vent, à l’eau, etc. Une vie sans risque serait d’un ennui mortel. Or les vies urbaines que nous menons, ce train train « métro-boulot-dodo » réglé comme une horloge, où le seul vrai risque est un risque imaginaire et névrotique nommé Stress. Ces vies nous déconnectent de cette part primitive ou un vrai bon et sain stress serait en fait de courir à pleine balle pour échapper à un prédateur (un concept loin du jogging)… La prise de risque à l’échelle individuelle ne serait-elle pas aussi saine pour dépasser nos limites, nos jugements, remettre en question nos certitudes, pour apprendre, évoluer, devenir la meilleure version de nous-même ? Être libres ?
ensauvagement collectif ?
Bon là je vais aller loin, mais s’ensauvager individuellement ne pourrait-il pas conduire à des prises de risques collectives impactantes ? Au-delà d’une quête individuelle, l’ensauvagement peut également s’exprimer à travers des réflexions sociales qui remettent en question les normes établies. Et là je ne parle pas le même langage que nos gouvernants, même si j’emploie le même terme il n’a pas le même sens, il est positif. L’organisation de systèmes autodéterminés et autonomes, des réflexions sur le vivre ensemble, la façon dont on communique, dont on se gouverne, dont on cultive, dont on traite le vivant, dont on fait société… peuvent être considérées comme des formes modernes d’ensauvagement collectif. Ces actions peuvent être constructives mais elles comportent aussi le risque d’être subversives, compliquées, de demander du temps, de l’énergie, de la coopération, de l’organisation, une adaptation au changement. On peut s’interroger : sommes-nous prêts à prendre le risque de s’investir pour faire changer les choses ? Sommes-nous encore prêts à prendre des risques pour défendre des valeurs, une communauté, notre liberté, le vivant ? A prendre le risque de s’intéresser à d’autres points de vue que les nôtres, remettre en questions nos certitudes ? Nous adapter au changement ? Cette idée peut s’appliquer à un paquet d’inactions collectives. Bref, tout ça ne serait qu’un risque à prendre…
A quand remonte le dernier risque que vous ayez pris individuellement ? Et collectivement ?
Ensauvageons-nous ?
A propos de l’auteure :
Je m’appelle Alice Fauconnier et suis une dessinatrice et auteure passionnée par la nature. J’ai créé Little Wild Leaves pour ensauvager vos vies ! .