Slow living, Ensauvagement, écologie. Autant de concepts qui, en apparence, prônent une reconnexion au vivant, une simplicité retrouvée et une autonomie face aux dérives du monde moderne. Ces idéaux de retour à la nature font rêver : un monde plus simple, plus proche des cycles naturels, où les excès seraient mis à mal. Pourtant, derrière ces belles promesses, se cache un phénomène plus cynique : celui de leur récupération commerciale. L’authenticité devient une marchandise, un nouveau luxe accessible à une élite urbaine en quête de sens. Nouveaux produits de consommation, des concepts profondément révolutionnaires finissent par être détournés et intégrés à un système qui en dénature l’essence. Où la nature est réduite à un simple produit à exploiter. Entre greenwashing et marketing de l’authenticité. Il devient crucial de questionner cette tendance et de réfléchir à ce qu’elle implique dans notre rapport profond avec le vivant.
Slow living : résistance ou produit de luxe ?
Le Slow Living revendique un retour à un mode de vie plus apaisé, loin du stress et de la surconsommation. Ce qu’on dit moins, c’est qu’il trouve racine dans des courants de pensées anarchistes. Avec l’idée de se réapproprier son temps et son autonomie. On y retrouve les concepts de décroissance et de simplicité volontaire. H.D Thoreau lors de son expérience dans les bois en serait le parfait exemple. Prônant le droit à la lenteur critiquant le modèle néolibéral du travail, prêt à la désobéissance civile. Cela s’oppose à la logique de croissance infinie, de surproduction et de gaspillage, mettant en avant l’artisanat et une relocalisation économique. Une critique radicale du progrès industriel et du capitalisme. Ce mouvement a été récupéré par l’industrie pour vendre des carnets en papier recyclé, des vêtements en lin hors de prix et des séjours « authentiques » en cabane éco-responsable, à l’autre bout du monde avec des peuples « premiers ». Une critique de la société de consommation transformée en un business florissant, accessible surtout à une élite urbaine qui rêve d’un retour à la nature… sans jamais vraiment quitter son confort. On est bien loin d’une vraie remise en question de nos modes de vie. Vivre plus lentement, oui, mais à condition d’avoir les moyens de se le permettre : du temps libre, de l’argent. Ce n’est plus une alternative accessible à tous, mais un privilège individuel. Un hashtag lifestyle de plus.
Ensauvagement et écologie : nature ou greenwashing ?
Le concept d’ensauvagement suit une trajectoire similaire. Initialement porté par des écologistes prônant un véritable retour de la nature et des écosystèmes. Il se transforme peu à peu en un argument marketing. Les marques l’intègrent dans leurs discours, proposant des expériences de « déconnexion » qui ne sont finalement qu’une consommation déguisée : randonnées guidées hors de prix, vêtements outdoor estampillés « aventure », séjours « wild », hashtag #femmesauvage #wildman # ensauvagement …
Tout cela perpétue une vision totalement artificielle de la nature. On ne cherche pas à comprendre ni à s’intégrer à un écosystème, mais à en tirer une expérience encadrée, aseptisée et temporaire. L’ensauvagement tel qu’il est vendu aujourd’hui reste une illusion : on vient s’imprégner d’un décor sans jamais questionner notre place réelle dans cet environnement. Il ne s’agit pas de réapprendre à vivre en harmonie avec la nature, mais d’y jouer un rôle, en consommateur privilégié d’une version édulcorée du monde sauvage.
Ce phénomène met en évidence une absence totale de changement profond dans notre perception de la nature. Elle demeure un espace à exploiter, un cadre de loisir, une ressource pour notre bien-être personnel, et non un monde auquel nous appartenons intrinsèquement. Cette vision anthropocentrée est profondément enracinée : la nature n’existe que pour nous servir, que ce soit à travers l’alimentation, la contemplation ou l’expérience récréative. Pourtant, nous ne sommes pas des visiteurs du sauvage : nous sommes une espèce parmi d’autres, issue d’un long héritage de chasseurs-cueilleurs qui ne se posaient pas la question d’ »interagir » avec la nature, mais qui en faisaient simplement partie.
Cette perte de lien véritable avec le monde sauvage est révélatrice de notre incapacité à repenser notre propre nature. Nous ne nous voyons plus comme des animaux évoluant dans un environnement, mais comme des êtres distincts, détachés de la dynamique du vivant. La mode actuelle de l’ensauvagement ne remet pas en cause cette fracture. Elle permet simplement d’adopter des codes esthétiques et des pratiques séduisantes, sans jamais questionner nos structures profondes, ni notre dépendance à un système qui nous a coupés de cet état d’être premier.
Se donner bonne conscience
Cette vision aseptisée du slow living et de l’ensauvagement sert aussi à apaiser les consciences. Elle permet de croire qu’un week-end en forêt ou l’achat d’un savon saponifié à froid suffit à se reconnecter au réel. Ces tendances rassurent : elles donnent l’impression de sortir du système, tout en y restant bien ancré. On achète du « naturel », on consomme de l’ »authentique », mais au final, tout cela reste du consumérisme. La déconnexion promise est illusoire, car elle ne remet jamais en cause les structures profondes de notre mode de vie.
La mode des plantes sauvages :
L’attrait croissant pour les plantes sauvages comestibles n’est pas en reste. Portée par des valeurs de simplicité et de reconnection avec la terre. Mais derrière l’image romantique du cueilleur en harmonie avec son environnement, se cachent des pratiques qui, loin de respecter les écosystèmes, exploitent la nature à des fins mercantiles. La cueillette des plantes sauvages se transforme en une activité, où l’on oublie trop souvent les implications écologiques, telles que la surexploitation de certaines espèces ou l’impact sur la biodiversité locale.
Certaines entreprises exploitent cette mode en vendant des produits dérivés des plantes sauvages, allant des tisanes aux cosmétiques, en passant par des ateliers cueillette et des livres (dont les auteurs et illustrateurs sont le plus souvent exploités par des maisons d’édition elles-même greenwashées, ça c’était perso). Plutôt que de promouvoir une réelle compréhension et un respect des écosystèmes, ces tendances capitalisent sur un imaginaire autour de la nature sauvage, transformée en un produit de consommation.
Certaines marques de cosmétiques ou de produits de bouche à base de plantes ne prennent pas en compte les principes de cueillette responsable, et les méthodes utilisées pour récolter ces plantes ne sont pas toujours durables. La mode de ces produits « naturels » masque parfois une industrialisation de la cueillette, bien loin des pratiques ancestrales respectueuses de l’environnement. Plusieurs plantes comme la gentiane, l’ail des ours ou les myrtilles souffrent par endroits de sur-ceuillette. Au-delà de l’aspect écologique, cette récupération du vivant sous forme de produits est une manière subtile de vendre de l’authenticité, tout en se déconnectant des réalités liées à la conservation de la biodiversité.
L’existence de beaucoup de plantes est déjà fragilisé par la pollution, le réchauffement climatique, l’agriculture, l’élevage, l’industrie, l’artificialisation des sols. Mais si le végétal devient un hashtag comme un autre, qu’en restera t-il ?
Et maintenant ?
Face à ces récupérations, valables dans beaucoup de domaines de ce grand « retour à la nature », il est possible d’adopter une autre approche, plus honnête, critique et respectueuse. Il ne s’agit pas de renoncer au confort moderne ni de diaboliser l’envie d’un retour au naturel, mais d’explorer d’autres manières de se reconnecter au vivant, loin des injonctions marketing en développant un esprit critique sur ces tendances qui émergent sans cesse. En lisant, en restant curieux, conscients, en essayant.
Observer la nature sans agenda, renouer avec des gestes ancestraux, comprendre les écosystèmes et y participer activement, que ce soit par des pratiques de cueillette respectueuse du cycle des plantes, en se renseignant sur la préservation de la flore. Jardiner et se renseigner pour recréer de la biodiversité chez soi, même sur son balcon. S’immerger en pleine nature, pas celle d’un Center Park, allez dans une forêt profonde, ayez une montagne à gravir, une plage sans vendeur de cornets, un voyage ou une journée chez vous sans planning, sans agenda, sans montre, coupez le téléphone juste pour voir ce qui émerge de vous. Passez un maximum de temps sans faire chauffer la carte bancaire, vous verrez comme c’est dur et libératoire. Il s’agit de retrouver une forme de cohérence entre nos actes et notre environnement, de repenser notre place sans en faire un nouveau concept de consommation.
La nature n’a pas besoin qu’on la fantasme ou qu’on l’embellisse, elle est là, brute et complexe. Le monde sauvage n’a que faire de tous nos concepts de slow life ou d’ensauvagement. De bien ou de mal. Il n’y a rien de romantique dans la nature, on y meurt, on sert de nourriture ou de substrat à ce qui vivra après nous. Beaucoup de choses y sont brutales et la survie permanente. Notre véritable défi est d’apprendre à le côtoyer, à le voir vraiment, comme un ensemble d’êtres vivants sensibles et interconnectés, dont nous faisons partie, sans artifice, avec humilité, discrétion, d’en prendre soin. Mais aussi de le voir en nous, pour accueillir le moment présent, cette présence au monde, cet incroyable privilège d’être vivants sur cette planète si sublime… et constater ce que nous en faisons… Qu’en ferez-vous ?

A propos de l’Auteure :

Alice Fauconnier, dessinatrice et auteure passionnée par la nature. J’ai créé Little Wild Leaves pour ensauvager vos vies !


