Terme forgé au XIXe siècle, l’ethnobotanique désigne l’étude des relations entre les plantes et les sociétés humaines. À la fois scientifique et humaniste, cette pratique interdisciplinaire mobilise des savoirs issus de la botanique, de l’anthropologie, de l’écologie, mais aussi de la linguistique et de l’histoire. Elle ne se limite pas à répertorier des usages traditionnels des plantes : elle explore les interactions complexes qui lient les sociétés humaines au Vivant et met en lumière des systèmes de pensée et de subsistance parfois méconnus. Elle interroge également notre rapport au monde vivant, soulève des questions fondamentales sur la conservation des écosystèmes et inspire des solutions pour relever les défis contemporains.
. Un article pensé et écrit en collaboration avec le magazine Terra Nostra qui réveille votre conscience écologique .
A la croisée de l’anthropologie et de la biologie

L’ethnobotanique s’est d’abord intéressée à documenter les usages des plantes par des peuples autochtones ou ruraux. Il s’agit d’une enquête sur la manière dont les sociétés perçoivent, nomment et utilisent les plantes, et sur les implications culturelles, symboliques et écologiques de ces pratiques. Les plantes peuvent être utiles à la fois comme aliments, médicaments, ou comme outil, matière première d’artisanats et savoirs-faire ancestraux. Les chercheurs collaborent avec les détenteurs de savoirs locaux pour collecter des informations sur les usages des plantes. Il y a aussi tout un travail linguistique qui répertorie les noms de ces dernières et donne des informations d’usages. Une fois identifiées, les plantes sont étudiées en laboratoire pour comprendre leurs principes actifs ou leur rôle dans l’écosystème. L’ethnobotanique est à l’origine de nombreuses découvertes scientifiques. Près de 25 % des médicaments modernes proviennent directement ou indirectement de plantes. L’aspirine, par exemple, est issue de l’écorce de saule, utilisée depuis l’Antiquité pour soulager la douleur. L’étude de l’écorce de quinquina par les Quechuas a mené à la quinine et aux dérivés utilisés contre le paludisme. On retrouve aussi les plantes comme base de nombreux cosmétiques naturels de plus en plus plébiscités. De nos jours, l’étude des plantes soulève aussi la question de notre nutrition et cela va jusqu’à remettre en question le fonctionnement de nos civilisations, bâties sur un modèle agricole. On remet au goût du jour les bienfaits nutritionnels des plantes sauvages comestibles. Celle-ci contiennent en effet bien plus de micro-nutriments essentiels à nos organismes que les plantes cultivées. Cela remet profondément en cause les paradigmes en lien avec l’agriculture et l’écologie auxquels nous sommes attachés.
« Etudie la nature, c’est là qu’est ton futur » – Léonard de Vinci-
Les leçons écologiques de l’ethnobotanique

On estime qu’environ 80 % des plantes terrestres restent encore à découvrir ou à étudier en profondeur, tandis que 25 000 à 100 000 espèces végétales auraient déjà disparu au cours des dernières décennies, victimes de la déforestation, du changement climatique et de la surexploitation. La disparition des plantes endémiques, aussi bien que des peuples auxquels elles sont reliées, menace les savoirs associés. En documentant ces relations plantes-sociétés, l’ethnobotanique contribue à sensibiliser à l’urgence de protéger les écosystèmes naturels et culturels. Elle met aussi en évidence des modes d’utilisation du vivant plus résilients à l’image des forêts-jardins, créés selon le modèle de la forêt naturelle. De nombreuses sociétés autochtones, comme les Kayapo d’Amazonie ou les Ifugaos des Philippines, ont développé des systèmes agricoles et forestiers intégrant la biodiversité. Ces pratiques, qualifiées aujourd’hui d’agroécologiques, témoignent d’une gestion durable des écosystèmes bien avant l’émergence des sciences modernes de l’environnement. Nous pouvons aussi évoquer le principe d’associations d’espèces pour maximiser la fertilité des sols déjà inventé par les mayas avec le système de la milpa ou des Trois Soeurs (association du maïs, des haricots et des courges). La redécouverte actuelle de ces savoirs mais aussi des plantes sauvages comestibles et médicinales réinterroge enfin notre diversité et notre autonomie alimentaire; ou encore l’utilisation de la chimie dans nos corps et, in fine, sur la terre (médicaments, cosmétiques, agriculture, alimentation). On se met à repenser tout un système et à s’inspirer des dynamiques du vivant pour inventer un futur plus respectueux de la biodiversité mais aussi du vivant en nous. L’ethnobotanique nous offre des outils pour répondre à la crise écologique, alimentaire et culturelle de notre époque. Elle nous rappelle surtout que préserver les plantes, c’est aussi préserver des cultures, des mémoires et des modes de vie en harmonie avec le monde naturel.
Une prise de conscience philosophique
Pour de nombreuses sociétés, les plantes ne sont pas des ressources exploitables mais des partenaires, voire des entités dotées d’une âme. Contrairement à une vision occidentale parfois utilitariste, les savoirs traditionnels ont une vision plus holistique du vivant. Ce respect mutuel se traduit par des pratiques de cueillette durable, comme chez les peuples autochtones d’Amérique du Nord qui ne prélèvent qu’un tiers des récoltes pour laisser le reste aux autres êtres vivants. On observe parfois des pratiques de remerciement avant ou après la cueillette qui illustrent une philosophie d’humilité et de réciprocité, opposée à l’extractivisme industriel. L’engouement actuel autour des plantes sauvages pose aussi la question de nos origines de chasseurs-cueilleurs, et, de fait, du sens profond, ou de l’absurdité, de nos sociétés modernes. Le simple fait de s’arrêter et de prendre le temps d’étudier une plante pour lui apposer un nom, voire d’oser la goûter, est révolutionnaire de nos jours. Puisse l’étude de ces pratiques nous permettre, à nous « civilisés » bien pensants et cartésiens de, peut-être, entre-apercevoir l’interdépendance qui existe entre la nature et nous. Et surtout l’urgence de restaurer et préserver ce lien.
L’ethnobotanique est une discipline transformatrice qui pose des questions profondes sur notre identité et notre rôle au sein du Vivant. En documentant les savoirs traditionnels, elle nous pousse à réévaluer nos pratiques modernes, à développer des approches plus respectueuses du vivant et à reconnaître la valeur des systèmes de connaissances marginalisés.
Elle ouvre aussi des perspectives pour réinventer un monde où science, spiritualité et écologie se rencontrent. Car au fond, elle nous rappelle une vérité fondamentale : chaque plante que nous touchons, que nous mangeons ou que nous utilisons pour guérir est le fruit d’une histoire commune entre l’humanité et la nature, dont nous faisons partie.

. Un article écrit en collaboration avec le magazine Terra Nostra .

A propos de l’auteure :

Je m’appelle Alice Fauconnier et suis une dessinatrice et auteure passionnée par la nature. J’ai créé Little Wild Leaves pour ensauvager vos vies ! .


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Sources :
François Couplan, tous ses livres. A écouter aussi >> notre entretien : Cliquez-ici.
Son site internet : https://couplan.com
Leroy, J.-F. (2007). Ethnobotanique : Plantes, sociétés et savoirs traditionnels. IRD Éditions.
Brossard, J. (1993). L’ethnobotanique : Science ou outil pour une gestion durable des écosystèmes ?. Cahiers d’Outre-Mer
Gheerbrant, A. (2017). Savoirs autochtones et érosion de la biodiversité : Enjeux éthiques et écologiques. Revue Tiers Monde
Portail documentaire de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement)
Herbiers numériques et bases de données ethnobotaniques françaises (ex. : Tela Botanica, FloreNum)
Pour aller plus loin :

Si vous souhaitez vous former, on ne peut plus sérieusement, aux plantes sauvages comestibles et à la botanique, je vous invite à découvrir la formation en ligne de l’éminent ethnobotaniste François Couplan; dont j’ai l’honneur d’être partenaire 🙂